PBI Colombie a demandé aux personnes accompagnées ce qu’elles pensaient des accords de paix et comment, selon elles, la situation pourrait changer dans le pays. Elles nous parlent de leurs attentes et de leurs espoirs face aux accords de la paix avec les FARC mais aussi des risques qui demeurent dans certaines régions.
Julia Adriana Figueroa Cortes, Colectivo de Abogados Luís Carlos Pérez (Collectif d’avocats Luís Carlos Pérez)
Le jour de la signature doit être « suprêmement » visible pour que personne dans le monde ne doute encore que la Colombie a besoin de ces accords. Il faut que ce soit une fête et que cela marque le début de nouveaux défis. Le peuple colombien doit profiter de l’attention des médias pour affirmer ce qu’il souhaite : soutien et engagement d’un peuple sans armes. Nous attendons que cette signature force les territoires à s’exprimer et à garantir que la paix dispose d’un budget suffisant.
Face aux violations des droits humains, nous poursuivrons notre travail. Mais il nous faudra être attentif car de nombreuses violations vont être considérées comme des crimes ordinaires, avec des réactions telles que : « maintenant qu’il n’y a plus de conflit, les faux positifs n’existent plus ». Cette attitude pourrait tout faire capoter et rendre impossible tout travail de plaidoyer.
Maritze Trigos Torres
Les accords de paix ne peuvent rester LETTRE MORTE, ils doivent se convertir en engagements réels, en LETTRES VIVANTES qui transformeront le pays vers une paix incluant la justice sociale.
Nous espérons également que ce sera bientôt au tour de l’ELN de s’assoir à la table de négociation avec le Gouvernement.
Bien sûr, le processus de paix va durer plusieurs années et le conflit risque d’augmenter. C’est pour cela que nous parlons de période post-accords et non pas post-conflit. C’est aussi pourquoi il est urgent de bénéficier de l’appui de pays amis qui ne défendent pas des intérêts particuliers, mais aussi du soutien des organismes internationaux, des églises et des mouvements sociaux.
Olga Silva, Humanidad Vigente Corporación Jurídica (Corporation juridique Humanité actuelle)
La signature des accords de La Havane entre le gouvernement et la guérilla des FARC conduira à une sortie politique du conflit armé. Pour l’establishment, c’est également l’occasion d’affronter les causes structurelles qui ont engendré le conflit. Le peuple colombien a, quant à lui, l’opportunité de participer aux transformations économiques, sociales et politiques qui sont nécessaires pour que la Colombie arrête de figurer au rang des pays les plus inégaux et comportant un taux élevé de graves violations des droits humains. Les gouvernements au pouvoir ne pourraient désormais plus justifier leur investissement d’une grande partie du budget national dans la guerre et seraient ainsi obligés d’investir l’argent pour le bien-être social de la nation.
Reste le risque important que représentent les groupes paramilitaires présents dans certaines zones du pays et que l’on désigne actuellement sous différentes appellations : Bacrim (bandes criminelles), Groupes post-démobilisation ou néo-paramilitaires, Rastrojos, Urabeños, etc. Leurs membres et les personnes qui les appuient sont déterminés à faire obstacle à la fin du conflit armé parce qu’ils profitent de la guerre et ils ne veulent donc pas qu’elle se termine. Le démantèlement réel et effectif du paramilitarisme relève donc d’une nécessité absolue.
Claudia Julieta Duque
On constate déjà que l’ELN et les groupes paramilitaires se positionnent pour reprendre le contrôle territorial de régions qui étaient auparavant dominées par les FARC. La paix risque donc, dans certaines zones, d’être simplement le passage d’un acteur illégal à un autre. Par ailleurs, on commence à constater que, dans ces mêmes régions tenues par les FARC, la stigmatisation du mouvement paysan a commencé à générer des attaques et persécutions. L’éradication des cultures illicites, le déminage et l’autorisation de bombarder les mal-nommées bandes criminelles pourrait faire empirer la situation humanitaire et les violations des droits humains.
De plus, la paix avec les FARC pourrait également donner le feu vert à des projets hydroélectriques, miniers et agroindustriels à grande échelle, avec pour conséquence, l’exacerbation des conflits sociaux. Ainsi, dans certaines régions, la paix peut marquer le début d’une nouvelle phase de répression. Il est donc essentiel d’encourager les processus de démilitarisation et de réformes à court, moyen et à long terme.
Eulises Porras Rojas, Asociación Regional de Víctimas de Crímenes de Estado en el Magdalena Medio (Association régionale des victimes de crimes d’état dans le Magdalena Medio)
Les attentes sont nombreuses, tout le monde aspire à plus de tranquillité pour pouvoir avancer dans sa vie en toute liberté et considère avec impatience les différents accords passés entre le gouvernement et les FARC. Le peuple colombien ne supporte plus de vivre sous la coupe de la violence. Mais les risques vont rester élevés car il y a encore des personnes et des secteurs qui s’opposent à la paix.
Irene Ramírez, Asociación Campesina del Valle del Río Cimitarra (Association paysanne de la vallée du fleuve Cimitarra)
Les accords de paix nous aideront à renforcer les initiatives de paix que nous souhaitons pour nos régions. Ils changent également nos attentes en tant que petits paysans parce qu’avec cette signature nous aurons, par exemple, plus de tranquillité dans notre région, nous pourrons rester sans craintes sur nos territoires. Grâce à la paix, nous pourrions davantage nous engager pour notre terre ce qui nous aidera aussi à consolider notre économie paysanne. Le Gouvernement aussi devrait avoir un degré d’engagement supplémentaire envers le monde paysan pour renforcer la production agricole et fournir des soutiens que nous pourrions commencer à gérer.
Le risque pour notre région est que l’ELN reste sur les territoires. Cette guérilla n’a pas encore rejoint la table des négociations, or cela serait nécessaire pour que nous nous sentions intégrés dans cette paix dont nous avons grand besoin pour commencer à travailler.
Iván Madero, Credhos
La signature des accords sera l’occasion de réaliser une réforme constitutionnelle en vue de les appliquer. La population colombienne aura donc l’opportunité de résoudre les problématiques sociales, d’une manière ou d’une autre.
Les Colombiens et les Colombiennes attendent surtout que la guerre se termine. Mais ça ne s’arrête pas là, le plus grand l’espoir réside dans une fin réelle du conflit mais cela signifie qu’il faut encore que des négociations avec l’ELN aient lieu et que le paramilitarisme soit démantelé.
Si après la signature des accords entre les FARC et le Gouvernement, les acteurs armés ne déposent pas leurs armes et n’entrent pas dans un processus de négociation pour mettre fin au conflit, la guerre va se poursuivre.
Autre élément important après la signature : l’approbation de l’accord qui sera vérifiée via un plébiscite par le gouvernement, bien que les FARC proposent une consultation populaire. Quelle que soit la manière dont cela sera fait, au final ce qui est important c’est que les Colombiens et Colombiennes participent à ce plébiscite en y répondant OUI ! L’espoir commun est que la Colombie vive dans l’harmonie, la tolérance et respecte les droits humains et les garanties de participation, c’est-à-dire que le pays dispose d’une vraie possibilité de participation politique. Ce plébiscite est donc fortement attendu, tout le monde doit y participer et dire oui.
Rommel Durán, Comité Jurídico Pueblos (Comité juridique des peuples)
Ces accords ne vont rien changer. Dans la pratique, rien ne sera différent sauf les fusils d’un acteur armé qui se seront tus. La structure politique, économique et sociale sera la même.
L’Etat n’a pas les moyens de parvenir à certaines zones du pays et, en outre, les paramilitaires ont déjà averti, dans des tracts, que, lorsque la paix arrivera, ils occuperont les zones qui étaient aux FARC.
C’est la paix à un niveau national, mais le problème c’est qu’il n’y a pas eu d’éducation à la paix. Tout a été dirigé vers la télévision et l’ordinateur, pour le monde urbain. Et dans le même temps, il y a beaucoup de désinformation : les gens ne savent pas vraiment ce qui a été décidé alors que dans les villes, les gens sont dans un autre monde et ne s’intéressent pas à ces accords parce qu’ils ne les concernent pas.
La paix ce n’est pas uniquement une signature. Il faut aussi un changement dans la politique anti-rébellion parce que la logique de l’ennemi reste plus active que jamais. En outre, les médias continuent à diviser la population qui elle continue à souffrir de la faim et du chômage.
Maria Liga Chaverra, leader autochtone du Curbaradó
Ce qui nous attendons et espérons de la signature des accords c’est de pouvoir travailler en paix et sans crainte. Mais cela ne sera possible que lorsque les autres groupes auront déposé leurs armes.
Nous souhaitons aussi que la paix soit construite dans les territoires parce que c’est là d’où elle va naître mais c’est aussi là où des personnes ne comprennent toujours pas ce que construire la paix veut dire.
Francisco Álvarez, leader autochtone du Curbaradó
Les accords de paix vont changer la Colombie au moment où ils seront aussi effectifs dans les régions et garantiront une stabilité pour les propriétaires des terres. Lorsque le territoire sera restitué et qu’il n’y aura plus autant de menaces contre les personnes qui revendiquent leurs droits, alors la Colombie aura changé. Lorsqu’il existera une vraie liberté d’expression et que les gens pourront se déplacer librement et revendiquer leurs droits de propriété en tant que peuples et propriétaires du territoire.
Pour nous qui vivons sur ces territoires, le risque est que la paix soit signée mais qu’aucun modèle économique ne soit négocié : dans le Curbaradó, si le territoire n’est pas restitué, il n’y aura pas de stabilité, pas d’espoir et aucune sécurité pour nous.
Ledys Turàn González, dirigeante autochtone du Curbaradò
Pour nous, une Colombie en paix c’est l’espoir de voir la violence baisser mais aussi de voir se réaliser des projets en faveur de la paix et la guérilla et l’armée tenir leurs engagements.
Dans le Curbaradó, il existe beaucoup de risques parce que, comme nous l’avons constaté, ce que la Cour constitutionnelle a exigé n’a pas encore été appliqué par le Gouvernement, par exemple l’assainissement et la reddition des territoires. De plus, dans ces terres de métissage, il y a de nombreux autres risques qui ne sont pas reconnus. Nous voyons bien que le paramilitarisme continue et que les communautés ont peur de se voir une nouvelle fois dépossédées de leurs terres.
Padre Alberto Franco, Comisión Intereclesial de Justicia y Paz (Commission interecclésiastique de justice et paix)
L’accord de La Havane est destiné à mettre un point final au conflit armé, condition nécessaire pour la construction de la paix. Mais la transformation va dépendre de la mise en place d’une paix intégrant la justice sociale et les changements démocratiques dont le pays a besoin.
Je crois que l’accord pour la fin du conflit armé comporte quelques risques. Le premier d’entre eux étant que les régions tenues par les FARC vont notamment être reprises par les paramilitaires.
L’autre risque est lié à la mise en application des accords car les communautés qui ont déjà beaucoup perdu pourraient être laissées de côté et l’argent pourrait être dilapidé sans aucune préoccupation pour les processus de construction à long terme de celles-ci.