L’énième report du procès de l’ancien dictateur guatémaltèque José Efraín Ríos Montt, qui devait s’ouvrir lundi 5 janvier 2015, représente une menace pour le droit des victimes à la justice.
Y aura-t-il une finalité aux procédures judiciaires engagées contre l’ancien dictateur, dont on ne compte plus les rebondissements ? Depuis le début, la défense a multiplié les actes dilatoires dans le seul but de repousser systématiquement le procès, et d’éviter ainsi la condamnation du général Ríos Montt, âgé aujourd’hui de 88 ans. C’est donc sans surprise qu’à l’ouverture de la séance, lundi 5 janvier, les avocats de la défense ont à nouveau misé sur cette stratégie, en demandant la récusation de la juge Irma Jeannette Valdés Rodas pour avoir déjà donné son opinion en 2004 dans son mémoire de maîtrise. Rejeté par la magistrate, qui estime que « ce droit de récusation est hors temps et n’a comme finalité que d’affecter le début du procès, dont la date et ma nomination à la présider sont connues depuis le 30 octobre 2013 », le recours a, cependant, été accepté par les deux autres juges du tribunal, Sara Yoc et María Eugenia Castellanos, ce qui a eu pour effet de renvoyer le procès à une date ultérieure, encore inconnue à ce jour. L’histoire semble se répéter. En mai 2013, la Cour constitutionnelle avait déjà annulé la condamnation de l’ancien dictateur à 80 ans de prison pour génocide et crime contre l’humanité, pour des raisons de procédure, et avait renvoyé le procès au 5 janvier 2015. La décision prise par les juges, en janvier dernier, de suspendre l’audience, plonge à nouveau le Guatemala dans l’attente que la justice soit enfin rendue aux victimes des crimes commis sous la dictature de Ríos Montt.
Le général José Efraín Ríos Montt est, en effet, poursuivi par la justice pour le massacre de 1 771 Mayas de l’ethnie Ixil, dans le département du Quiché, au nord de Guatemala Ciudad, et le déplacement de 29 000 personnes, survenus au cours des 17 mois qu’il a passé à la tête du pays. Arrivé au pouvoir en mars 1982, après un coup d’État, Ríos Montt établit un gouvernement de facto et déclare rapidement l’état de siège pour mener une violente répression contre l’opposition civile, de gauche, avant d’être à son tour renversé, en août 1983. La politique de terre brûlée menée contre les populations autochtones du pays, soupçonnées de soutenir la guérilla, est à l’origine de nombreuses violations des droits de l’Homme, parmi lesquelles des pratiques génocidaires et des actes de torture. Le gouvernement militaire de Ríos Montt est considéré comme le plus meurtrier de la guerre civile guatémaltèque, qui a fait 200 000 morts et disparus entre 1960 et 1996, selon les Nations Unies. En 1999, la Commission pour l’éclaircissement historique a ainsi établit qu’une grande majorité des crimes commis au cours du conflit armé l’ont été sous la dictature de Ríos Montt.
La perte de l’immunité parlementaire de l’ancien dictateur, le 14 janvier 2012, et sa condamnation, le 10 mai 2013, avaient constitué un précédent historique qui avait suscité un grand espoir, au Guatemala comme dans les pays de la région, dont beaucoup sont d’anciennes dictatures. Les procédures engagées contre Ríos Montt ont eu pour mérite d’avoir mis fin au silence absolu concernant ces massacres et au désengagement de l’État en matière d’investigation et de justice. Aujourd’hui, cependant, cet espoir que la justice soit rendue pour les graves violations des droits de l’Homme commises sous la dictature de Ríos Montt s’effrite au gré des entraves au procès. Le risque d’impunité est d’autant plus inquiétant que l’amnistie, demandée en 2012 par les avocats de la défense en vertu d’un décret d’autoamnistie de 1986, reste toujours une éventualité. Au cœur de cette bataille juridique se trouve, néanmoins, la question fondamentale de la confiance de la population dans le système judiciaire guatémaltèque. En effet, l’enjeu de ce procès va bien au-delà de la reconnaissance de la culpabilité de l’ancien dictateur. Il s’agit également de mettre fin à un usage abusif des recours et des obstacles structurels qui entravent le bon fonctionnement du système judiciaire.
Dans ce contexte mouvementé de reprise et report du procès, PBI est préoccupé par la sécurité des organisations locales de défense des droits de l’Homme, et rappelle l’importance de l’accompagnement international. Depuis 2010, PBI accompagne le Cabinet Juridique pour les Droits de l’Homme au Guatemala (BJDHG), qui assiste légalement le Centre pour l’Action Légale en Droits de l’Homme (CALDH) et l’Association pour la Justice et la Réconciliation (AJR), toutes deux parties plaignantes au procès. PBI appelle la communauté internationale à rester vigilante à toute tentative ou acte d’agression, d’intimidation ou de représailles qui pourraient être commis à leur encontre et à veiller au bon déroulement du procès.
Anaïs Lallemant