En juillet 2018 auront lieu les prochaines élections générales au Mexique. En 2012, le Président Enrique Peña Nieto était présenté comme le candidat capable de réduire l’insécurité, mais force est de constater que bien au contraire, six ans plus tard, le Mexique subit une véritable crise des droits humains. L’indignation suscitée au Mexique et à l’international par la disparition des 43 étudiants d’Ayotzinapa a permis d’ouvrir la boîte de Pandore et d’exposer d’autres cas emblématiques de cette crise.

La dégradation du climat sécuritaire sert aujourd’hui de toile de fonds pour ces élections, 2017 étant l’année la plus violente qu’ait vécu le Mexique, surpassant même les niveaux atteints en 2011, année où la « guerre contre le narco » battait son plein : plus de 25 300 assassinats, une augmentation de 152% des féminicides et, à la date du 31 juillet 2017, plus de 2 400 disparitions dénoncées. Défenseur.e.s et journalistes ont également été pris pour cibles : selon l’organisation Article 19, les autorités ont enregistré en 2017 une agression contre un.e journaliste toutes les 15 heures environ et le Réseau national des organismes civils des droits humains « Tous les droits pour toutes et tous » (Red TDT) a dénoncé la généralisation des agressions et menaces contre les défenseur.e.s [862 entre janvier et le 31 juillet 2017], démontrant ainsi le manque de volonté politique de l’Etat pour protéger défenseur.e.s et journalistes alors même qu’en 2012 a été créé un mécanisme national à cet effet. La société civile craint une exacerbation de l’insécurité par les élections, alors même que ces dernières seront les plus importantes jamais connues au Mexique : en plus du président de la République, seront élus 128 sénateurs et 800 députés fédéraux, 9 gouverneurs et 2 768 députés locaux, maires et conseillers municipaux. Face à un tel renouvellement des élus politiques, les cartels réaffirment leur emprise sur les différents territoires pour mitiger l’incertitude et négocier de nouvelles alliances.

Dernier outil dans la lutte contre le « narco », la Loi de Sécurité intérieure (LSI) permet de régulariser la présence de l’Armée dans la rue pour remplacer la police, jugée incompétente et corrompue, faisant ainsi de toute question de sécurité citoyenne une affaire de sécurité nationale. Outre le fait que des ONG mexicaines et internationales ont documenté par le passé que l’implication de l’Armée engendrait plus de violations des droits humains qu’une réelle diminution de l’insécurité, la LSI ne prétend même pas instaurer les garanties nécessaires pour éviter ces dérives. Cette loi pourrait également, vu le contexte électoral, permettre à l’Armée de réprimer facilement des manifestations contre la fraude électorale ou encore de prendre par la force le pouvoir. Plus problématique encore, cette loi ne contemple aucun des problèmes de fonds corollaires de la crise des droits humains qui secoue le pays : la corruption est rampante et atteint les plus hautes sphères politiques, l’impunité est presque totale (99% selon la Commission interaméricaine des droits de l’Homme), le personnel policier n’est pas qualifié et n’a pas les moyens d’affronter une telle situation.

Devant ce panorama et à moins de six mois des élections nationales, les principales alliances politiques ainsi que leurs candidats sont maintenant définis. Pour la première fois des candidats indépendants pourront se présenter à condition de réunir 866 593 signatures de soutien dans au moins 17 des 32 Etats qui composent le Mexique. C’est par exemple le cas de Marichuy, porte-parole du Conseil indigène de gouvernement (CIG) et candidature emblématique puisque première femme autochtone à postuler aux élections présidentielles mexicaines.

Marichuy et le CIG sont partis en campagne contre ce qu’ils nomment « le mauvais gouvernement mexicain » et ne cessent depuis de dénoncer les barrières imposées par le système électoral aux candidatures indépendantes : difficulté d’obtenir autant de soutiens en un temps si réduit, obligation d’acquérir un smartphone afin d’attribuer sa signature, excluant ainsi les populations mexicaines les plus pauvres, parmi lesquelles les populations indigènes, premier soutien de Marichuy.

Par ailleurs et aux vues des derniers sondages d’intentions de vote, les partis politiques traditionnels semblent perdre du terrain, au profit de la coalition de gauche conduite par le Mouvement de régénération nationale (MORENA). Selon Barbara Ester, sociologue au Centre stratégique de géopolitique d’Amérique latine (CELAG), les scandales de corruptions répétés et les graves violations de droits humains qui ont marqué (et continue de le faire) le mandat d’Enrique Peña Nieto, seraient en partie à l’origine de l’ascension de Morena et de son leader Andrés Manuel López Obrador. En effet depuis des années, ce dernier a fait de la lutte contra la corruption la priorité de son programme politique, d’abord comme président du PRD et maintenant avec MORENA. De plus, le fait que la gauche mexicaine se soit majoritairement exprimée contre la controversée Loi de Sécurité intérieure lors de son adoption au parlement en novembre dernier aurait également joué en sa faveur, explique la sociologue. Au contraire, la coalition emmenée par le Parti actuellement au pouvoir et son candidat José Antonio Meade n’arrive qu’en troisième position, juste derrière l’alliance conformée, entre autres, par les deux autres grands partis traditionnels mexicains : le Parti de la révolution démocratique (PRD) et le Parti action nationale (PAN) - parti de  Felipe Calderón, l’ex-Président qui a initié la tristement célèbre « guerre contre le Narco ».

Cependant, le paysage électoral est encore très incertain, d’autant plus sous la menace de la fraude électorale qui a déjà frappé le Mexique à plusieurs reprises, comme par exemple en juin dernier lors des élections étatiques dans l’Etat de Mexico, où la candidate de Morena était donnée en tête (dans un état où le PRI gouverne sans alternance depuis la création de ce parti). Quelques jours avant que n’aient lieu les élections, des têtes de porc ont été retrouvées devant le bureau de Moreno dans plusieurs municipalités de l ‘Etat ainsi que devant de futurs bureaux de vote. Certaines de ces têtes étaient accompagnées de noms ainsi que d’une croix menaçant et dissuadant clairement fortement la population mexicaine d’exercer librement son droit de vote.

Consciente des fortes possibilités qu’un tel schéma ne se répète et malgré les risques que cela ne comporte, la société mexicaine continue de se mobiliser et de dénoncer au niveau national et international les graves violations des droits humains ainsi que la corruption et le manque de volonté politique du gouvernement mexicain pour résoudre cette crise. En sont la preuve les mouvements #SeguridadSinGuerra et #FiscalíaQueSirva, créés afin de lutter contre la LSI et l’impunité dans le pays et qui ont déjà déclaré que les tensions en 2018 iraient au-delà des tensions électorales. 

Par ailleurs, 2018 marquera aussi la visite de deux mécanismes internationaux au Mexique : l’Examen périodique universel et le Comité de l’ONU pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Ainsi, quelque soit le vainqueur de la présidentielle, celui-ci devra, en plus de gérer les tensions sociales internes, rendre compte de la situation des droits humains devant la communauté internationale.

 

 

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